Demande à un restaurateur 2020

Les restauratrices et restaurateurs du monde entier répondent à des questions sur leur travail lors de la journée «Demande à un restaurateur» (Ask a conservator), qui a lieu le 18 Novembre cette année. Le 4 novembre 2020, j’ai demandé à mes abonné·e·s sur Facebook et Instagram de m’envoyer des questions sur la conservation-restauration des photographies. 

J’ai reçu les questions suivantes:

  • Quelle est la solution de stockage la plus adaptée pour les photographies? Des pochettes en polyéthylène ou des chemises/enveloppes en papier sans acide ?
  • Le stockage à plat est-il indispensable pour les photographies ? Est-il mauvais de les stocker sur le côté ou à la verticale, par exemple un dossier conservé dans une boîte ?
  • Est-il préférable ou pas d’encadrer les photographies contemporaines ? Verre ou plexiglas ?
  • Si je souhaite exposer mes photographies anciennes, quelles sont vos recommandations ?
  • Quelles solutions utilisez-vous pour nettoyer l’image ? Est-ce différent pour chaque procédé photographique ? Quels sont les critères de choix ?
  • Lorsqu’il y a du miroir d’argent sur l’image, quelle est la meilleure chose à faire ?

Vous trouverez ci-dessous les réponses à ces questions. 

J’ai également répondu à deux questions par l’intermédiaire de l’Association canadienne des restaurateurs professionnels, sur la congélation des négatifs et la conservation à basse température des photographies datant d’après 1970.

Quelle est la solution de stockage la plus adaptée pour les photographies? Des pochettes en polyéthylène ou des chemises/enveloppes en papier sans acide ?

Les pochettes de conditionnement pour les photographies peuvent être en papier ou en plastique (polyéthylène, polyester ou polypropylène). Tous les matériaux en contact avec des matériaux photographiques doivent passer le Test d’activité photographique (ISO 18916) (en anglais). 

Les pochettes en plastique et en papier ont toutes deux leurs avantages et leurs inconvénients :

Papier

+ Poreux, respirant

+ Effet tampon (variations d’humidité relative)

– Plus de manipulations

Plastique

+ Moins de manipulations

– Non poreux (micro-climat)

– Électrostatique

Les pochettes en plastique peuvent causer des altérations en enfermant les polluants dégagés par les photographies (nitrate de cellulose, acétate de cellulose, carton de support acide) à l’intérieur de la pochette. Elles créent également un micro-climat qui peut engendrer de la condensation, en cas de variation de température, ce qui entraîne le développement de moisissures ou l’adhésion de la gélatine de l’émulsion à la pochette. Elles peuvent également altérer les liants/supports friables ou soulevés en raison de leur électrostaticité.

Dans la plupart des cas, les pochettes en papier sont plus appropriées car elles n’enferment pas les polluants et réduisent les variations d’humidité relative au niveau de la photographie. Dans les situations où les photographies sont souvent consultées, les pochettes en plastique peuvent être plus appropriées que celles en papier car les manipulations répétées peuvent être source d’altérations (salissures, empreintes digitales, plis, déchirures, etc.).

L’arbre décisionnel ci-dessous peut être utile pour déterminer le matériau le plus approprié pour les pochettes de conditionnement.

Arbre décisionnel pour aider à déterminer le matériau de conditionnement le plus approprié, en papier ou en plastique, pour votre collection de photographies.

Le stockage à plat est-il indispensable pour les photographies ? Est-il mauvais de les stocker sur le côté ou à la verticale, par exemple un dossier conservé dans une boîte ?

Le stockage à plat, dans une boîte, des photographies sur support papier est plus adapté à leur conservation à long terme. Le stockage à l’horizontale permet de répartir le poids du tirage sur l’ensemble de sa surface. À l’inverse, le stockage à la verticale place la majorité du poids et de la pression sur un seul des bords du tirage. Les principaux risques liés au stockage vertical sont les suivants :

  • la déformation des tirages,
  • l’altération du bord inférieur (enfoncements, abrasions, etc.),
  • les dommages causés lors de la manipulation des tirages pour les sortir ou replacer dans la boîte (plis, pliures, etc.).

Le stockage à la vertical peut être mis en place, avec les précautions suivantes afin de réduire le risque d’altérations :

  • Les tirages doivent mesurer 20 x 25 cm ou moins.
  • Les tirages doivent être stockés sur leur bord le plus long.
  • Les tirages doivent être séparés par des intercalaires rigides pour éviter qu’ils se déforment. Les intercalaires peuvent être faits en carton de conservation épais ou en carton cannelé et placés tous les 10-20 cm, selon la taille de la boîte, le format et l’épaisseur des tirages. 
  • La boîte doit être bien remplie pour éviter que les tirages ne se déforment. Il est possible d’utiliser des cales pour remplir l’espace inutilisé de la boîte. Elles simplifient également la manipulation des pochettes contenant les photographies pour les sortir ou les replacer dans la boîte, ce qui réduit le risque d’altération des tirages. 

Le stockage à la verticale est plus adapté aux photographies montées sur un support secondaire rigide ou aux tirage sur papier épais. Si nécessaire, des cartons de conservation peuvent être ajoutés à l’intérieur des pochettes pour apporter plus de soutien aux photographies sur papier fin.

L'image montre une boîte de conservation contenant des photographies stockées dans des pochettes de conservation, placées verticalement dans la boîte. Les pochettes sont séparées par des intercalaires en carton de conservation tous les 5 à 10 cm. Des mains portant des gants de coton blanc sont en train de manipuler les pochettes dans la boîte.

Est-il préférable ou pas d’encadrer les photographies contemporaines ? Verre ou plexiglas ?

De nombreuses et nombreux artistes contemporains privilégient l’esthétique des photographies montées sous Diasec, non encadrées ou des cadres sans vitrage de protection.

Du point de vue de la conservation, l’utilisation d’un cadre avec vitrage de protection présente de nombreux avantages. Il offre une protection contre la lumière, la poussière, les polluants et les altérations mécaniques, tels que les abrasions ou les rayures.

Les vitrages en verre et en plastique présentent tous deux des avantages et des inconvénients qui doivent être pris en compte avant de choisir celui qui convient le mieux à chaque objet.

Verre
+ Clarté
+ Non électrostatique
+ Durable
+ Stable
+ Abordable
– Inflexible et fragile
– Lourd

Acrylique
+ Léger
– Peut avoir voile coloré et un manque de clarté
– Électrostatique
– Peut réagir au dégagement gazeux des peintures et des encres d’imprimerie non durcies, par la formation de buée ou de craquelures très fines
– Les plaques de grand format fléchissent et se courbent
– Les plaques de grand format peuvent se dilater et se contracter en réponse à des changements de température extrêmes.

De nombreuses photographies contemporaines sont de grand format, le poids et les qualités inflexibles du verre peuvent donc poser problème, les vitrages en plastique sont souvent plus adaptés à ces objets. Si la photographie encadrée doit voyager, l’acrylique est également préférable en raison du risque de bris de verre pendant le transport, ce qui endommagerait le tirage.

Si je souhaite exposer mes photographies anciennes, quelles sont vos recommandations ?

Les photographies sont très sensibles à la lumière. L’exposition à la lumière peut provoquer des altérations chimiques des matériaux constitutifs, tels que l’affaiblissement de l’image, le jaunissement ou une modification des couleurs. Le type d’altérations et la sensibilité à la lumière sont spécifiques à chaque technique photographique et à l’état de conservation de chaque objet.

Si la photographie n’est pas conservée dans l’obscurité, le risque de dommages causés par la lumière n’est jamais inexistant. Dans le cadre d’une résidence privée, il existe plusieurs moyens de protection pour diminuer le risque d’altérations causées par la lumière:

  • Tenir la photographie éloignée de la lumière naturelle directe.
  • Utilisez un niveau d’éclairage le plus bas possible.
  • Utilisez des lampes qui ne contiennent pas de rayonnements infrarouges ou ultraviolets.
  • Exposer avec un vitrage de protection contenant un filtre UV.

Quelles solutions utilisez-vous pour nettoyer l’image ? Est-ce différent pour chaque procédé photographique ? Quels sont les critères de choix ?

Le nettoyage est toujours la première étape de tout traitement de conservation-restauration. Il permet d’éliminer les salissures en surface ou incrustées dans l’objet. 

Je commence toujours par des techniques de nettoyage à sec, car elles risquent moins d’endommager la photographie et permettent d’éliminer les poussières et les débris en surface ou légèrement incrustés. Des poires à air, des brosses douces, des tissus en microfibre pour nettoyer les lentilles et des gommes peuvent être utilisés. Il est important de veiller à ne pas créer d’abrasions sur la surface, à ne pas enlever de la retouche d’origine ou des matériaux constitutifs.

Dans certains cas, le nettoyage à sec n’élimine pas toute la crasse incrustée, en particulier sur le liant de l’image, le nettoyage avec des solvants peut alors être envisagé cas par cas. 

Comme pour tous les traitements de conservation-restauration, il existe des risques associés aux traitements et il est nécessaire d’évaluer les avantages et les risques associés à chaque traitement avant de le mettre en œuvre. Le solvant utilisé pour nettoyer les photographies dépend du type de procédé photographique et des matériaux constitutifs. Par exemple, certaines photographies ont un vernis ou un liant en collodion (négatifs sur plaque de verre au collodion, ambrotypes, ferrotypes, tirages au collodion). Le collodion est composé de pyroxyline (nitrate de cellulose) dissoute dans l’éther et l’alcool. Il est soluble dans les alcools, donc si vous essayez de nettoyer une photographie au collodion avec de l’éthanol, l’image sera simplement dissoute et disparaîtra. Par conséquent, avant d’essayer un traitement de nettoyage au solvant, je dois être certaine de la technique photographique et des matériaux utilisés. 

Le deuxième élément à garder à l’esprit est que chaque objet est différent. Tous les tirages gélatino-argentiques à développement n’auront pas la même réaction à un traitement spécifique. Pour décider comment nettoyer une photographie, la deuxième étape consiste à tester chaque objet individuellement pour évaluer sa réactivité au traitement et déterminer si le traitement doit être effectué et avec quelle solution. 

Par exemple, pour une photographie avec un liant en gélatine, l’eau sera le solvant le plus efficace pour éliminer la saleté incrustée, mais c’est aussi celui qui fera le plus gonfler la gélatine, jusqu’à la dissoudre si la gélatine est partiellement ou totalement hydrolysée suite à un dégât des eaux ou à un développement de moisissure. Dans certains cas, la meilleure solution est de ne pas nettoyer avec des solvants. 

Enfin, je prends en compte l’effet à long terme du traitement sur les matériaux constitutifs : le solvant va-t-il réagir avec l’objet et créer des altérations ? Par exemple, l’albumine est sensible à l’humidité/l’eau et le liant risque de se craqueler, ce qui modifie la brillance de la la photographie. Les connaissances sur l’impact des traitements de conservation-restauration sur les matériaux photographiques évoluent sans cesse grâce aux nouvelles recherches menées par les restauratrices et restaurateurs du monde entier. Ainsi, la solution que j’utilise aujourd’hui peut changer demain en fonction de nouveaux résultats de recherche. Mon travail ne cesse d’évoluer !

Cette image montre deux mains portant des gants en nitrile bleu, travaillant sur une épreuve en gélatine argentique, représentant deux femmes en buste. La main droite tient un embout Q utilisé pour nettoyer la photographie. Le tirage montre des taches et des pertes d'image causées par des moisissures.
Tirage gélatino-argentique lors d’un traitement de nettoyage aux solvants (Collection privée) – Crédit : M. Rothbauer

Lorsqu’il y a du miroir d’argent sur l’image, quelle est la meilleure chose à faire ?

Le miroir d’argent est une altération formant un reflet métallique bleuté à la surface des photographies argentiques. L’argent métallique formant l’image est oxydé sous forme d’ions Ag+ et migre vers la surface de la photographie, où il est réduit en argent métallique au contact de l’air. Le miroir d’argent est causé par la présence de polluants et catalysé par l’humidité. 

Dans la mesure où le miroir d’argent est une altération de l’argent qui forme l’image photographique, il est considéré comme étant un matériau original et, à ce titre, doit être préservé, conformément au Code de déontologie : » Un [objet] culturel ne devrait pas être modifié sous quelque aspect que ce soit sans raison valable. De même, aucun matériau constitutif ne devrait en être retranché sans justification. » Le miroir en argent peut être considéré comme une patine, similaire à celle que l’on trouve sur les objets en métal. 

Dans certains cas, le miroir d’argent peut être très étendu et empêcher une visualisation correcte de l’image. Cela peut être particulièrement problématique sur les négatifs où les zones avec du miroir d’argent apparaissent plus sombres avec moins de contraste en lumière transmise, ce qui peut alors limiter l’utilisation d’origine de l’objet. Dans ces cas, on peut envisager d’atténuer le miroir d’argent. Il est important de garder à l’esprit qu’il n’est peut être pas possible d’enlever tout le miroir d’argent, qu’il n’est pas facile de l’enlever de manière uniforme, et l’image sous le miroir d’argent peut avoir perdu de la densité et du contraste, parce que l’argent qui a été retiré faisait partie de l’image. Le retrait du miroir d’argent n’est pas toujours une solution satisfaisante sur le plan esthétique. C’est pourquoi la meilleure solution reste de l’éviter.

Avez-vous d’autres questions sur la conservation-restauration des photographies ? N’hésitez pas à me contacter, je serai heureuse de vous aider !

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